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jeudi 17 juillet 2014

Les Liaisons Dangereuses.

La couverture est un tableau de Jean Fragonard, Le Verrou, 1774-1778.
Pour mon premier article sur le blog, je vous propose de parler culture, et plus précisément de livres. Étant une mangeuse de livres depuis mon plus jeune âge, je m'étais peu à peu éloignée du monde de la littérature avec l'entrée au collège puis au lycée, mais je m'y suis remise de pied ferme.
Et je vous jure que pendant les révisions des examens, la lecture, ça aide !
Je ne suis pas critique littéraire, mais je peux tout de même partager mon opinion au sujet des romans ou autres que j'ai récemment lus. 

Nous allons donc commencer par un roman que j'ai littéralement dévoré, et qui est assez ancien, mais ne faites pas attention à cette apparence désuète, car cette œuvre est une véritable merveille.
Cependant, avant de continuer de tarir d'éloges à propos de ce bouquin, commençons par sa présentation : il s'agit du roman épistolaire intitulé Les Liaisons Dangereuses, et publié par Choderlos de Laclos en 1782.
Je tiens à préciser pour ceux qui ne le savent pas que le terme «roman épistolaire» signifie que le roman est uniquement constitué de lettres. Certains n'oseront peut-être pas s'aventurer de par cette forme inhabituelle, mais ce serait pourtant dommage : cette nouvelle forme permettra de diversifier votre champ de lecture, et l'intrigue en vaut la chandelle. 

Ainsi, dans ce roman, interviennent deux personnages principaux : la Marquise de Merteuil, et le Vicomte de Valmont. Véritables manipulateurs, ils n'hésitent pas à utiliser les différents autres interlocuteurs afin de mener leurs petites manigances à bien. La Marquise et le Vicomte construisent une immense toile d'araignée dans laquelle sont piégées leurs nombreuses victimes, qui, bien souvent, n'ont pas conscience d'avoir été les jouets de deux perfides personnes.
La fourberie est ainsi poussée dans le roman, que la Marquise de Merteuil est perçue telle une vénérable et vertueuse femme dans la «société», c'est-à-dire parmi les aristocrates : les apparences permettent de cacher son réel visage, qui n'est que cruauté.
Le Vicomte, quant à lui, possède une réputation beaucoup plus virulente que la Marquise, mais grâce à de nombreux stratagèmes, il arrive toujours à arriver à ses fins. 
La Marquise (Glenn Close) et le Vicomte (John Malkovich).


 
Mme de Merteuil (Glenn Close) et Cécile de Volanges (Uma Thurman)
Ces deux personnages contrôlent donc le roman, et tirent littéralement les ficelles, et notamment de jeunes adolescents innocents tels Cécile de Volanges ou le chevalier Danceny, unis par les liens de l'amour, qu'ils découvrent avec candeur. Néanmoins, ils ne sont pas les seuls à être manipulés, puisque la douce et bonne Présidente de Tourvel est la victime désignée du Vicomte dès le début du roman.
Mis à part les complots du Vicomte et de la Marquise qui jalonnent le texte et qui passionnent, une tension sexuelle est fortement présente entre ces deux protagonistes qui semblent se détester et s'aimer à la fois : nous ne savons quelle est véritablement la nature de leurs relations, ce qui permet d'ajouter du mordant à l’œuvre.
L'amour/haine qui les habite peut être rapprochée de la relation de Blair et Chuck dans Gossip Girl, pour ceux qui ont regardé la série.
Par ailleurs, ils se jouent tout deux de l'amour sans penser aux conséquences, et leur inconscience en la matière fait penser aux comportements de Camille et Perdican dans la célèbre pièce de théâtre d'Alfred de Musset, On ne badine pas avec l'amour.
Je vous conseille donc fortement de vous lancer dans le roman, et de me donner vos impressions en commentaire.. L'avis de ceux ou celles qui ont déjà lu cette œuvre m'intéresse aussi.

/!\ ATTENTION, SPOILERS ! /!\.

Cette partie est uniquement réservée à ceux ou celles qui connaissent le roman, et qui n'auront donc aucun remord en lisant ce qui suit.
Malgré l'aspect hautement perfide du roman, je pense qu'il permet tout d'abord de faire une forte critique de la société du XVIIIème siècle dans laquelle vivait Choderlos de Laclos, notamment grâce au personnage de Mme de Merteuil, qui ne cesse de jouer avec les apparences et de se moquer de la vertu imposée aux femmes. 
L'hypocrisie est donc mise en avant, et dénoncée. En effet, le statut de veuve de la Marquise lui permet de fréquenter autant d'hommes qu'elle le veut, et elle se sert opportunément de cela. Nous pouvons donc apercevoir à travers ce comportement un préavis du libertinage qui devient commun au XIXème siècle.
La débauche est même présente dans le roman, et ce grâce au personnage du Vicomte, qui est un être sensuel et ne se prive jamais de quelques plaisirs : cela se ressent notamment lors de sa liaison avec Cécile. Cependant, le rapport du Vicomte aux relations sexuelles est complexe, puisqu'il est aussi intéressé par la séduction : effectivement, il veut que la Présidente de Tourvel lui cède en ayant avouer ses sentiments pour lui, il veut la rendre amoureuse.                                             
Le Vicomte de Valmont et une de ses amies intimes.

Par ailleurs, le libertinage est aussi présent avec des personnages secondaires comme la jeune Cécile ou le chevalier Danceny : les deux jeunes gens, pourtant amoureux, ne perdront pas leur virginité mais avec le Vicomte ou la Marquise.
Le comportement de Cécile est d'autant plus condamnable par la bonne société du XVIIIème et l'Eglise, qu'elle goûte aux plaisirs sensuels non pas avec le mari qui lui est destiné, mais avec un autre homme.
Enfin, même la sage Présidente de Tourvel finit par tomber dans un tourbillon de péché, en trompant son mari avec l'hypnotisant Vicomte, auquel elle succombe après d'énormes efforts de résistance.
Cette mise en avant du sexe apporte un aspect immoral à ce roman, porte ainsi atteinte aux «bonnes mœurs» de l'époque et remet en question la plupart des règles qui présidaient : effectivement, la jeune Cécile ayant été éduquée dans un couvent où les relations sexuelles entre hommes et femmes sont un sujet tabou, elle est profondément naïve, ce qui permet plus facilement au Vicomte de l'attirer dans ses filets – ou plus précisément, dans son lit. Cela est notamment visible dans la lettre 97 du roman.
Choderlos de Laclos fait donc ici une critique implicite de l'éducation qui était donnée aux jeunes filles : celles-ci, en ne connaissant rien de l'amour charnel, étaient d'autant plus attirées par celui-ci et pouvaient plus difficilement se défendre. 



De plus, l'hypocrisie dans le roman se situe dans le fait que la Marquise de Merteuil est une véritable vipère, qui crache son venin avec plaisir sur ceux qui, en apparence, sont ses plus proches amis : Cécile de Volanges et sa mère, Madame de Volanges, font les frais de ses médisances.
Ainsi, l'auteur dresse le portrait assez noir des relations humaines et sociales, puisqu'il montre que nous ne pouvons compter sur personne, nos amis les plus proches pouvant être de vils individus sans que nous le sachions.
L'hypocrisie est omniprésente chez les personnages, puisque Cécile de Volanges se dit toujours amoureuse du chevalier Danceny, alors qu'elle le trompe allègrement avec Valmont ; et le chevalier, se comporte de la même manière en atterrissant dans le lit de la Marquise.

Un autre point mérite notre attention selon moi, et c'est l'ascension que le lecteur croit éternelle des deux personnages principaux, puis vers la fin du roman, leur chute rapide et mortelle, qui agit telle une réaction en chaîne : en effet, les événements se succèdent, et le lecteur ne peut reprendre son souffle entre la mort du Vicomte, la mort de la Présidente de Tourvel, la parution au grand jour de la perfidie de la Marquise et du Vicomte, l'entrée au couvent de Cécile, la petite variole de Mme de Merteuil et son départ pour les Pays-Bas.
Selon moi, cette chute implacable permet aussi la «chute» du lecteur : celui-ci s'attache tout au long du roman aux personnages, et par un effet des plus pervers, commencent à se moquer ouvertement des victimes des deux araignées, et se prend de passion pour ce jeu intensément destructeur et sadique. Le lecteur devient lui-même un manipulateur pervers, puisqu'il prend du plaisir à la souffrance des autres personnages.
Toutefois, la chute brutale et violente des deux personnages principaux permet la chute du lecteur, son retour à la réalité : il est autant puni que les personnages – qui eux le sont par leur destinée tragique –, puisqu'il réalise qu'il a aimé voir souffrir les victimes de Merteuil et Valmont, et cela le mène donc inéluctablement à la culpabilité.
Par ce biais, Choderlos de Laclos, permet au lecteur d'accéder à la réflexion, et de réfléchir sur son attitude face au roman, mais aussi à celle de personnages. Les personnages récoltent ce qu'ils ont semé, et le lecteur prenant conscience de ce fait, ne peut s'empêcher d'éprouver du dégoût envers ses protagonistes qu'il a adulé durant tout un roman ; il peut même prendre peur et vouloir se détourner de toute intrigue ou manipulation, craignant de se voir un sort tout aussi funeste.
L'auteur exerce ainsi une sorte de catharsis, soit de purgation des passions, à la manière des auteurs grecs dans les tragédies. 

Enfin, je dirai que Choderlos de Laclos, plus qu'une critique virulente de la société dans laquelle il vivait, fait un travail remarquable sur le lecteur, et si les personnages sont victimes des manipulations de la Marquise et du Vicomte, le lecteur devient lui aussi victime de la manipulation de l'auteur, qui le pousse à prendre plaisir à la souffrance d'autrui : les liaisons sont donc bel et bien dangereuses...

Alors, à quel point un auteur peut-il manipuler ses lecteurs par le biais des mots ? La question reste ouverte, et vous ne vous en doutez sûrement pas, mais un écrivain X vous manipule peut-être à l'heure qu'il est, sans que vous vous en doutiez le moins du monde.

Sylphide.

** La plupart des photos sont extraites du film Les Liaisons Dangereuses de Stephen Frears.

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