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vendredi 5 décembre 2014

Cinquante nuances de ... critique.


Ayant un peu de temps pour écrire, je vous propose une critique du best-seller mondial ... Cinquante nuances de Grey
Si vous êtes un(e) fan inconditionnel(le) du roman, ne lisez pas cet article ou alors, si justement, lisez-le, puisque nous ne devons pas nous écrier débat, sauve qui peut ! 

Pour ceux ou celles qui ne connaissent pas l'intrigue, la voici : 

"Anastasia Steele accepte de remplacer sa colocataire malade, Katherine, pour interviewer l'homme d'affaires et milliardaire Christian Grey. Jeune PDG séduisant et mystérieux, ce dernier l'intimide. A sa grande surprise, Christian Grey vient la voir au magasin où elle travaille, prétextant des achats. Très attirée par lui, elle se verra rapidement devenir sa soumise. Pour cela un contrat va être rédigé pour permettre de définir les règles de ce jeu dangereux. Cependant, ce contrat devient souvent un sujet tabou et sera changé sans cesse.
À mesure que leur relation progresse, la jeune et innocente Ana est confrontée à un tout nouvel univers aux côtés du riche entrepreneur. Christian a cependant une face sombre : il est adepte du BDSM. La jeune femme doit alors décider si elle est prête ou non à entrer dans cet univers" 
(Source : Wikipédia)



Sachez que cette critique ne se fonde pas sur les romans mais sur la bande-annonce que j'ai vu du film, qui est celle du 14 Novembre 2014. J'ai donc tiré des conclusions de ce trailer, et je sais que s'attaquer à un best-seller n'est pas chose simple, mais j'ai encore le droit de m'exprimer. Et puis, je considère que tout le monde peut réagir avec civilité, sans me noyer sous les insultes parce que Cinquante nuances de Grey, ce n'est tout simplement pas pour moi. 


La seconde chose à savoir est que ce qui me dérange dans le roman/film n'est pas le sadomasochisme : je considère que chacun a ses pratiques sexuelles, et que cela ne dépend que de notre individu. Évidemment, comme dans toute relation sexuelle, le consentement est obligatoire. Après, ce que chacun fait de son corps, ça le regarde.

Bien, j'ai donc regardé la bande-annonce du fameux ouvrage, car j'avais lu qu'il n'était pas du tout bon pour l'image de la femme -ce sur quoi je reviendrai-. Il y a donc deux semaines, je décide de m'informer et je recherche le trailer. 


En le visionnant de nouveau peu avant de rédiger cet article, j'ai remarqué que les antagonismes entre les deux personnages, Christian et Anastasia sont réellement exacerbés. Effectivement, les six premiers plans jouent sur leurs différences de niveau social : Christian enfile une chemise qu'il choisi dans un placard parfaitement rangé et uniquement fait de costumes alors qu'Anastasia, elle, prend une chemise dans une petite armoire où s'entassent ses vêtements. Le PDG fait un nœud de cravate, cravate qui était elle aussi pliée et rangée avec soin alors que la jeune femme noue ses cheveux sans y prêter trop attention. Christian est conduit en limousine, et Anastasia conduit sa propre voiture. 
La bande-annonce nous permet donc bien de comprendre dès le départ qui est qui : Christian est un jeune homme beau, riche, fort (il est très musclé), jeune et intelligent (puisqu'il est PDG) alors qu'Anastasia ne semble être rien de plus que la fille banale par excellence.

La première rencontre entre les deux futurs amants renforce encore plus le contraste, le mur qui les sépare : Anastasia a des vêtements qui n'égalent en aucun cas l'élégance de Christian, sa jupe est longue et parait trop grande, elle porte une chemise à fleurs un peu désuète. 

Par ailleurs, durant l'interview tout concourt à nous montrer que Christian est puissant, plein de succès et qu'Anastasia n'est rien à côté de lui : tout d'abord, la vue en contre-plongée écrase la jeune femme, et elle semble minuscule dans l'immense bureau de M. Grey. 
Christian apparaît aussi dès le départ comme le personnage masculin mystérieux : le gris est déjà une couleur évocatrice, car on ne sait pas très bien si elle relève plus du noir ou du blanc, plus du mal ou du bien, et là est tout le doute. Rien que dans son nom, le personnage nous échappe, et cela permet de le rendre plus attirant. Ensuite, quand nous le voyons faire son footing, il garde sa capuche sur la tête et nous ne pouvons apercevoir son visage : là encore, Grey ne peut être cerné. Il est indéchiffrable.
Enfin, le personnage de Christian semble manipulateur, calculateur : il affirme avoir la faculté de percer les gens à jour - alors que lui-même est un mystère -. A ce moment-là, Anastasia apparaît clairement intimidée par le PDG.



Un peu plus loin, nous apprenons que Grey est un "maniaque du contrôle" : cela renforce donc l'image de PDG calculateur, froid, distant qui s'impose (d'autant plus que le gris qui envahit les vêtements, les bureaux, et tout l'univers du personnage - et même le temps -  renforce cet aspect). Et, enfin, comme nous pouvions le supposer avec ce tableau si cliché, nous retrouvons la dernière caractéristique fatale : Christian est un "bad boy". Il dit clairement à Anastasia qu'elle devrait l'éviter, que ce n'est pas un homme pour elle. Le message est simple : il est dangereux, il va la briser, la détruire. Et en plus d'être le mauvais garçon, il apprend aussi à sa nouvelle amante qu'il a eu une enfance difficile : Christian est donc un être torturé. Cependant, Anastasia se fait sauveuse de celui-ci, puisqu'il avance au cours de la bande-annonce qu'elle est entrain de le changer. 

Une dernière remarque sur la bande-annonce en elle-même : Anastasia se métamorphose peu à peu et goûte aux plaisirs de la vie, elle devient rayonnante, porte de magnifiques robes et vole en hélicoptère et en avion, choses qu'elles n'auraient pu faire sans l'argent de Grey, évidemment. 


Bien, nous voyons donc qu'une opposition claire s'immisce entre les deux personnages, entre la naïve, banale et outsider Anastasia, et le beau, fort, intelligent, froid, calculateur, et riche Grey.

Ce qui me gêne clairement ici, est que nous avons le droit à un cliché assez insupportable, répété dans l'imaginaire collectif depuis bien longtemps : effectivement, s'opposent la souillon et le prince charmant, comme dans Cendrillon. Et Anastasia n'accèdera au rang de "princesse" que par les moyens de Christian, qui a les moyens financiers de transformer sa vie en conte de fées, si je puis dire. C'est donc le même schéma qu'avec Cendrillon. La femme n'acquiert une reconnaissance sociale et un statut élevé que par l'intermédiaire de l'homme, elle n'est pas du tout capable de le faire elle-même. Par ailleurs, cela implique aussi qu'elle est dépendante financièrement de Grey : sans lui, sans son argent, elle n'aurait jamais les robes merveilleuses et le voyage en avion. 
J'ai l'affreuse impression qu'il va lui briser le poignet ..
De ce point de vue là, l'intrigue me dérange car l'homme et la femme ne sont dès le départ pas placés sur un pied d'égalité. Il y a cette idée de la fille que personne ne regarde qui sort avec la star du lycée, comme dans High School Musical, et c'est tout simplement insupportable de voir que la femme n'accède à la "popularité" que par le biais de son petit ami. Elle ne s'accomplit pas ou ne se fait pas acclamer par ses qualités, son intelligence, le prix qu'elle a gagné en chimie, la compétition qu'elle a remporté, ou ses talents d'humoriste mais parce qu'elle est avec Grey. Grey est déjà quelque chose lui, il a tout eu, tout fait, et est l'archétype du gars qui a tout réussi (beauté, intelligence, force, puissance, argent), alors qu'Anastasia elle, n'est rien sans Christian. Rien du tout. 

La deuxième chose que je trouve exaspérante est l'idée éternelle du "bad boy". En fait, le problème est que le "bad boy" est rendu ici attirant par tous les moyens : son mystère, son côté torturé, sa beauté etc. Il est hypnotisant, et Anastasia ne peut s'en défaire. Le problème est que malgré qu'elle sache pertinemment que Grey va la détruire - il le lui dit lui-même, et jusqu'à preuve du contraire, elle a des oreilles et un cerveau -, elle fonce droit dans le mur, et en jouit même.
De plus, il faut savoir que le roman écrit par E.L. James est à l'origine une fanfiction de l'univers de Twilight : Ana est Bella et Christian, Edward. Ainsi, si nous transposons les deux intrigues, nous en reviendrons à la chose suivante : Ana = humaine et Christian = vampire. Ils ne peuvent donc pas être ensemble, ils appartiennent à deux mondes différents qui sont incompatibles et Christian risquerait de la tuer. Ici, le côté vampirique de Grey se traduirait donc par son sadomasochisme -je suppose-. 
Bien, je ne pense vous apprendre grand chose en affirmant que le vampire est un prédateur - et oui, il boit le sang de ses victimes, et les tue -. Or, sous couvert que Grey est un bad boy diablement attirant, son aspect prédateur ne semble pas compter : Ana se jette dans ses bras. Pourtant, le sadomasochisme et le côté autodestructeur et destructeur de Grey risquent de la vider de son sang et de la tuer, à terme. Mais, peu importe.
Ce constat me gêne terriblement. Parce que quand vous lisez un roman, vous avez le réflexe de vous identifier aux personnages. Vous êtes une femme, et vous allez vous identifier à Anastasia. Très bien. Anastasia est une proie, et elle laisse le prédateur l'attraper, elle veut même qu'il l'initie à ce monde obscur qu'elle ne connaît pas. Et qu'allez-vous faire, vous ? Vous allez reproduire, si vous êtes trop naïve. Ainsi, vous vous précipiterez droit sur le "bad boy", celui dont vous saurez pertinemment qu'il vous brisera le cœur, mais comme Ana, vous espérer le changer. "C'est un connard, mais avec moi, il est différent". Et vous y croirez. Et vous tomberez de haut (du moins, il y a beaucoup de chances). 
Quant à l'homme qui lit ce roman et s'identifie naïvement lui aussi, il reproduira le schéma du prédateur briseur de cœur, qui peut se permettre de tout faire, même les pires horreurs, puisque la fille lui pardonnera dans tous les cas, et l'aimera.
(Ne venez pas me dire que le processus d'identification est un leurre, des jeunes filles désiraient un cancer pour devenir les nouvelles Hazel Grace, après avoir lu Nos Étoiles Contraires)

Enfin, le dernier aspect effrayant de cette œuvre est sans doute le plus fondamental, est qu'une étude américaine a montré que les réactions d'Ana à la violence dans le couple étaient "typiques de celles des femmes mal traitées". Par ailleurs, cette même étude montre que les femmes lisant Cinquante nuances de Grey auraient plus de chances de se faire harceler et d'avoir des vies difficiles, désordonnées. Le pire est sans aucun doute que cette étude révèle qu'Anastasia souffrirait d'un syndrome de Stockholm sous-jacent : pour ceux ou celles qui ne le savent pas, ce syndrome est développé par les otages par rapport à leurs geôliers, c'est-à-dire qu'ils commencent à ressentir de l'empathie ou de la sympathie pour la personne les détenant. Ce qu'implique ce roman est donc extrêmement grave, d'autant plus que le processus d'identification naïf pourrait provoquer de véritables drames, et que c'est un best-seller mondial. Je trouve cela alarmant. 

Ainsi, si le roman n'avait pas mis en scène une soumission de la femme à l'homme sous tous les plans, et que les deux personnages se valaient (Ana aurait pu avoir tout réussi, être intelligente, belle, riche etc aussi), peut-être que cela aurait pu être intéressant - le sadomasochisme aurait pu aller dans les deux sens, par exemple -. 

Présenté tel qu'il l'est, le roman/film véhicule donc des idées dangereuses, auxquelles l'on peut rapidement s'identifier et se confondre, se projeter, voire vouloir reproduire la même chose.

Si les films et les livres représentent une immense source de plaisir pour notre imaginaire, traitez-les avec précaution et n'oubliez jamais votre esprit critique


La femme n'est pas la soumise de l'homme ou dépendante de lui, et Cinquante nuances de Grey ne nous le fera pas croire. 



Sylphide.

2 commentaires:

  1. C'est une critique intéressante sous plusieurs points de vues. Par ailleurs, je ne suis pas tout à fait d'accord avec toi sur le "coté cendrillon" de l'histoire. Il ne faut pas oublier, que les livres restent les livres (ils ne sont donc pas le reflet de la réalité à proprement parlé) et surtout il ne faut pas se fier à la seule bande d'annonce. J'avoue que l'intrigue revient sur deux personnages que tout oppose mais qui vont finir par trouver un accord autant sur le plan sexuel que relationnel. La femme est ici à un rang d'infériorité mais n'est-ce pas dans sa nature ? Les mœurs actuelles ont bien changé (fort heureusement) mais c'est dans notre nature (qui remonte à longtemps) de vivre plus ou moins à un rang inférieur vis-à-vis des hommes. Cendrillon a réussi à s'épanouir en trouvant le prince charmant et c'est encore valable aujourd'hui. On est toutes à la recherche de celui ou celle qui nous sera bénéfique, qui nous permettra de grandir et de faire face à la réalité du monde qui nous entoure. Sans un homme à nos coté, nous réussissons à s'intégrer mais pour s'épanouir pleinement, il faut trouver la perle rare, dans ses yeux nous verrons à quel point nous sommes unique pour lui.
    Merci pour nous avoir fait partager ta vision sur ce best-seller.
    Je continuerais tout de même à être plus ou moins admirative de cette œuvre.

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  2. Comment pouvons nous dire que la femme est ''dans sa nature'' à un rang d'infériorité. Aucun être humain ne peut-être inférieur à un autre. Il y aura toujours un niveau sur lequel ces deux personnes pourront être à égalité. Si les femmes elles-mêmes sont persuadées d'être inférieures aux hommes, comment la société peut-elle évoluer ? Il faut croire en la chose pour qu'elle puisse exister et se défaire des idéaux faussés que l'homme revendiquait et revendiquera encore.

    Après sur la question de ''domination'', chacun est libre de ses propres désirs.

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