Je me suis interrogée dernièrement sur une activité que nous pratiquons tout au long de notre vie, de manière plus ou moins explicite : le débat. Cela peut paraître un brin déconcertant, et je vous le concède, évoquer le débat n'est pas vraiment commun. Je ne compte pas me référer à un débat en particulier mais à plusieurs débats afin de construire une réflexion sur l'idée de débat en elle-même.
Commençons donc par le commencement : mais qu'est-ce qu'un débat ?
Selon la définition du Larousse, un débat est une "discussion, souvent organisée, autour d'un thème". Cela ne nous aide pas vraiment, la définition donnée étant extrêmement vague et laissant la porte ouverte à de nombreuses interprétations.
Pour moi, un débat apparaîtrait plutôt comme un échange d'idées ou d'opinions entre plusieurs personnes. Je ne partage pas vraiment l'idée selon laquelle un débat est "organisé" : ceux que j'ai expérimenté tendaient énormément à l'anarchie, et je ne suis pas d'accord avec la possibilité d'organiser réellement un débat. Nous pouvons l'encadrer, soit éviter qu'il dégénère mais nous ne pouvons pas l'organiser : comme l'appétit vient en mangeant, la pensée vient en parlant. Dès lors, notre flux de parole nous entraîne d'une idée à l'autre et le débat suit donc un cours sinueux, inattendu, et peut parfois s'éloigner totalement du sujet initial.
Bien, vous devez vous en douter mais mon but n'est absolument pas de disserter sur la définition de "débat". Je voudrais m'attacher au fait que nous affirmons apprécier les débats car ils constituent des échanges de convictions et de visions du monde entre personnes différentes, et que nous trouvons cela enrichissant. Pourtant, je ne peux m'empêcher de faire remarquer que lorsque les débats arrivent au tapis, plus personne ne veut prendre en compte l'autre, et plus particulièrement ses idées, qui deviennent autant de petits cris stridents et continus qui hurlent des horreurs à nos douces oreilles.
Tout le monde adore les débats, mais personne ne veut écouter les autres.
Vous ne me croyez donc pas ? Détrompez-vous, car les exemples ne manquent pas.
Il y a quatre semaines de cela, je suis entrée dans le CDI de mon lycée où le documentaliste a accueilli mes amis et moi avec un "Bonjour Monsieur et Mesdemoiselles". J'ai instinctivement répondu "Non, Madame". L'incident - si l'on peut appeler cela ainsi - aurait pu être clos, mais cela s'est passé tout autrement.
Un de mes amis masculins a été mis au courant de cette histoire, et m'a traité de "connasse" et a dit que je mériterais de la violence pour avoir osé penser que Mademoiselle est un terme dégradant pour la femme. Une amie a essayé de s'expliquer car elle partageait mon point de vue et trouvait inadmissible que je sois traitée ainsi, et on lui a rétorqué que pour pouvoir la dégrader, il faudrait l'avoir respectée un jour.
Ainsi, il y a eu un non-lieu de débat. En fait, ce n'était même pas la peine d'entamer le débat, il était mort-né. Mon ami était campé sur ses positions, et nous n'étions que des pauvres abruties ou "connasses" ahurissantes qui devaient penser de travers et voir le mal partout, un point c'est tout.
Et alors, on débat ? Non. Et alors, on échange ? Non. Et alors, on comprend ? Non. Et alors, on respecte ? Respec.. Quoi ?!
Ainsi, que faudrait-il faire ? Nous voulons débattre mais sans débat : cela revient à dire que nous voulons échanger avec une personne sans opinion, sans avis, avec une personne chosifiée qui sera d'accord avec toutes nos pensées et tous nos dires.
Parce qu'au final, ce que nous ne voulons pas voir, c'est que nous pouvons avoir tort. Que ne nous sommes pas le centre du monde. Que nous n'avons pas les meilleurs idées de l'univers. L'égocentrisme, le narcissisme et l'orgueil ont leur fierté.
Cependant, il serait de mauvaise foi de seulement me présenter en victime d'un débat mort-né.
J'ai aussi été à la place de celle qui ne comprend pas ou ne le veut tout simplement pas, qui n'est pas capable d'accepter des opinions divergentes des miennes.
Par exemple, je suis fondamentalement contre la peine de mort, et ce pour diverses raisons. Je ne conçois pas que l'on puisse accepter ce genre de pratique même pour les criminels les plus meurtriers, même pour les commanditaires de génocide. En Troisième, nous avons étudié le roman Claude Gueux, écrit par Victor Hugo et publié en 1834. C'est un véritable plaidoyer contre la peine de mort. Suite à ce roman, notre professeure de français a organisé des débats en classe sur le sujet. Et bien, j'étais tout simplement incapable de comprendre mes amis qui étaient pour la peine de mort, et j'estimais monstrueux que l'on puisse penser une pareille chose. Ça me dégoûtait même.
Vous voyez comme nous ne sommes pas ouverts au débat, comme nous nous braquons et refusons l'avis des autres. Cela peut donc être un pur produit de notre vanité, mais aussi une croyance si forte en nos convictions - et en leur bien-fondé, évidemment - que nous ne pouvons tolérer une idée contraire à la nôtre.
Dans ce cas-là, le débat n'existe pas. La seule chose à laquelle nous arrivons est à faire monter l'énervement, et à nous hurler que nous avons tort. Pas très instructif, n'est-ce pas ?
De la sorte, nous restons camper sur nos positions, et l'autre, quand il ne les partage pas, devient un monstre : LE monstre. Le monstre intolérant, incohérent, qui ne sait pas penser, qui n'a aucune morale. L'autre est un animal redoutable, et tout cela parce qu'il pense - je parle d'opinions fondées avec des arguments, pas de pseudo-convictions -.
Ainsi, nous avons eu une discussion très intéressante avec un de mes professeurs au sujet de la loi Veil autorisant l'avortement, qui a fêté ses quarante ans cette semaine. Une de mes amies lui a demandé son avis sur un téléfilm diffusé à la télévision pour l'occasion, et traitant de la question et du cheminement de la loi, du combat de Simone Veil.
Au fil de notre discussion, le professeur en est arrivé à la question des opposants à la loi Veil. Il a indiqué que le traitement des opposants l'avait gêné dans le téléfilm, car il était trop caricatural : les clichés abondaient, et les opposants étaient montrés comme des fous furieux hystériques.
Il nous a donc fait part de son opinion sur les opposants à la loi Veil : il nous a expliqué que les hystériques radicaux existent évidemment, mais que nous ne devons pas considérer l'ensemble des opposants de cette manière, parce que certains d'entre eux sont simplement des personnes ayant des convictions religieuses très fortes. Effectivement, le cinquième commandement des chrétiens et des juifs est "Tu ne tueras point". Ces personnes-là estiment que la vie commence à la procréation, et donc que l'avortement constitue un meurtre, alors que la vie est ce qu'il y a de plus sacré. Par ailleurs, elles ne peuvent accepter que cet avortement soit prononcé au nom d'un confort individuel.
Ne vous méprenez pas, je suis totalement d'accord avec la loi Veil et je pense que l'avortement est un droit fondamental : c'est une véritable avancée pour les femmes, et permet de revendiquer le droit individuel que nous disposons sur notre corps. Mon professeur était aussi en faveur de cette loi. Cependant, il essayait de nous faire comprendre le point de vue des opposants, sans tomber dans la caricature qui exacerbe les antagonismes.
Je ne remets absolument pas en question le droit à l'avortement, mais il me semble important d'arriver à percevoir une conviction autre que la notre, et aussi forte. Et aussi de la respecter. Nous avons tous la liberté de pensée, et ce n'est pas révocable.
Alors, pensons. Réfléchissons. Les choses qui nous paraissent les plus évidentes, les plus essentielles provoqueront des ahurissements chez d'autres. Parce que nous sommes tous différents. Cela me semble aussi simple.
Et il y a des personnes avec qui nous ne serons jamais d'accord, car nous avons tous des opinions. Nous ne devons pas tomber dans la bêtise, l'ignorance et l'agressivité au regard de la pensée étrangère à la notre.
Ces trois exemples me permettent donc de montrer la difficulté du concept même du débat, qui propose à un ensemble d'individus de partager des idées diverses et variées. Notre orgueil et nos convictions peuvent constituer de véritables barrières au débat, qui nous incite au contraire à mettre de côté notre fierté et notre croyance profonde en nos opinions, pour laisser place au doute.
Pourtant, les débats sont des occasions passionnantes, qui permettent un échange profond et argumenté, bien éloigné des conversions banales et futiles qu'il nous arrive d'avoir. Dès lors, si nous nous ouvrons à autrui et que nous prenons le temps d'écouter et de comprendre, alors nous pourrons évoluer, mûrir, et nous ouvrir à d'autres mondes.
Je n'affirme pas qu'il faut se laisser convertir à toutes les opinions venues - ce serait même drôlement dangereux -, mais que nous devons du moins comprendre - si les convictions d'autrui proviennent d'arguments et non d'insultes ou de bêtises -. Nous ne pouvons adhérer à tout et il est important d'avoir nos idées bien à nous. Mais puisque nous allons vivre avec les autres jusqu'à la fin, autant entreprendre quelque chose de constructif, non ?
J'espère qu'après cet article, vous ne redouterez pas les repas familiaux qui partent souvent à la dérive à l'approche des sujets politiques - rappelez-vous des désordres provoqués par l'affaire Dreyfus -, et que vous ne crierez plus "L'Enfer, c'est les autres !", à l'issue de chaque débat.
Sylphide.